Conseil 20103032 - Séance du 21/12/2010
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 21 décembre 2010 votre demande de conseil relative à la communication et à la réutilisation des tables décennales de l'état civil à une étude généalogique qui souhaite les numériser afin de les utiliser pour ses recherches.
I. Sur le droit d’accès et les modalités de communication
1.1. Sur le droit d’accès
La commission relève qu’il est établi, tous les ans, dans chaque commune, un tableau alphabétique des actes de l'état civil. A l'aide de ces tables annuelles, l'officier de l'état civil dresse ensuite, dans les six premiers mois de la onzième année, des tables alphabétiques décennales qui recensent les actes de naissance, de mariage et de décès et qui comportent uniquement le nom des personnes concernées et la date de l’acte. Ces tables décennales de l’état civil se présentent en principe sous la forme de registres indépendants des registres d’état civil et sont dressées en double expédition, un exemplaire certifié étant adressé au tribunal de première instance territorialement compétent. La commission considère, au vu de ces éléments et notamment du contenu de ces documents, que les tables décennales d’état civil constituent, contrairement aux actes d’état civil (CE 9 février 1983 Bertin n° 35292), des documents administratifs au sens de l’article 1er de loi du 17 juillet 1978.
La commission rappelle ensuite que la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a ramené le délai à l’expiration duquel les registres de l'état civil deviennent librement communicables, de cent à soixante-quinze ans à compter de leur clôture. En outre, il résulte du e) du 4° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juillet 2008, que seuls les registres de naissance et de mariage de l’état civil sont désormais soumis à ce délai de soixante-quinze ans. La commission en déduit qu’il résulte de la lettre de la loi, éclairée par les travaux préparatoires qui en ont précédé l’adoption et plus précisément par son exposé des motifs, que le législateur a entendu instaurer la libre communicabilité dès leur établissement non seulement des registres de décès, mais également des tables décennales de naissance, de mariage et de décès.
La commission considère par conséquent que ces tables décennales sont librement communicables à toute personne qui en fait la demande.
1.2. Sur les modalités de communication
En vertu des dispositions de l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document.
Lorsque le demandeur souhaite numériser les documents par le biais de photographies à l’occasion d’une consultation sur place, la commission estime que l'administration n'est légalement tenue d’y faire droit que lorsque d'autres modalités de communication, telle que la reprographie, ne sont pas praticables eu égard, en particulier, à la nature, à la taille ou à la fragilité des documents, et sous réserve que ce mode d’accès reste compatible avec le bon fonctionnement de ses services. A ce titre, il appartient à l’administration, saisie d’une telle demande, d’apprécier au cas par cas, compte tenu notamment de sa capacité d’accueil, des moyens de surveillance dont elle dispose, des autres demandes dont elle est saisie et des conditions dans lesquelles l’opération de numérisation serait réalisée, les perturbations qui pourraient en résulter et par conséquent la suite qu’il convient de lui donner.
II. Sur la réutilisation
2.1. Sur la compétence de la commission
La commission relève que l’ensemble des informations dont la réutilisation est envisagée figure dans des documents librement communicables. Elles n’ont pas été produites ou reçues dans le cadre d’un service public à caractère industriel et commercial. Elles ne sont pas grevées de droits d’auteur de tiers. Elles constituent par conséquent des informations publiques au sens de l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978.
La commission souligne ensuite que la réutilisation est définie par le même article 10 comme l’utilisation d’informations à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents qui les contiennent ont été produits ou reçus. Tel est le cas de la numérisation, à des fins commerciales, d’informations issues des tables décennales, ainsi que l’envisage l’étude de généalogie qui vous a saisi. En revanche, la simple détention de ces informations ne saurait, à elle seule, constituer une réutilisation au sens de cet article. Si celle-ci peut, le cas échéant, constituer un traitement de données à caractère personnel dès lors que l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 y inclut notamment « la collecte, l’enregistrement, l’organisation et la conservation » de telles données, la commission n’est pas compétente pour apprécier la licéité de tels traitements, en-dehors de toute réutilisation.
2.2. Sur le droit et les modalités de réutilisation
La commission rappelle que le droit à réutilisation posé par le premier alinéa de l'article 10 de la loi du 17 juillet 1978, s'exerce dans les conditions prévues au chapitre II du titre Ier de cette loi et au titre III du décret n°2005-1755 du 30 décembre 2005. Notamment, sauf accord de l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées (article 12 de la loi du 17 juillet 1978).
En vertu de l’article 15 de la loi, la réutilisation d’informations publiques peut donner lieu, le cas échéant, au versement de redevances. La commission rappelle en effet que cette disposition laisse à chaque autorité administrative, qu’elle en soit ou non l’auteur, le soin de décider si la réutilisation des informations publiques qu'elle détient donnera lieu ou non à la perception d'une telle redevance. Le même article de la loi et les articles 36 et suivants du décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 encadrent la fixation du montant de celle-ci.
La commission souligne cependant que le paiement d'une redevance est subordonné à la définition préalable, dans le cadre d’une licence, des conditions de réutilisation des informations publiques, conformément à l'article 16 de la loi du 17 juillet 1978. Faute d'avoir préalablement adopté une licence type, l'administration ne peut faire obstacle à l'utilisation du document ni en subordonner la délivrance au paiement d'une somme supérieure à celle résultant de l'application des dispositions du décret du 30 décembre 2005 et de l'arrêté du 1er octobre 2001.
La commission rappelle que le deuxième alinéa de l'article 18 de la loi du 17 juillet 1978 lui confère le pouvoir de sanctionner les réutilisations lorsque des informations publiques ont été réutilisées, en méconnaissance des dispositions de l'article 12 de la même loi, des conditions de réutilisation prévues par une licence délivrée à cet effet ou en violation de l'obligation d'obtention d'une licence.
Par ailleurs, la réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions du premier alinéa de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978, en vertu duquel : « Les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l’objet d’une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l’autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d’anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. ».
En l’espèce, la commission relève, d’une part, qu’à sa connaissance, aucune disposition législative ou réglementaire n’a précisément pour objet de permettre la réutilisation des informations contenues dans les tables décennales, et d’autre part, que l’anonymisation priverait de tout intérêt la réutilisation de ces documents. La commission en déduit que la réutilisation de celles-ci est nécessairement subordonnée au recueil du consentement préalable des personnes intéressées.
Elle relève toutefois, à cet égard, que les tables décennales comportent, compte tenu de leur date, des informations relatives tant à des personnes décédées qu’à des personnes vivantes. Il y a lieu, dès lors, de distinguer les règles applicables dans chacun de ces deux cas.
La commission considère que les informations relatives aux personnes décédées, et plus précisément les tables décennales de décès, sont librement réutilisables, puisque le premier alinéa de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 n’a vocation à s’appliquer qu’à des personnes vivantes.
S’agissant des informations relatives à ces dernières, la commission estime que, compte tenu de l’impossibilité matérielle d’obtenir le consentement de toutes les personnes concernées, les tables décennales contenant de telles informations ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation.
La commission en déduit que seules pourront être réutilisées les tables décennales de naissance antérieures à l’année 1890, en tant qu’elles portent sur des personnes nées il y a plus de 120 ans révolus et par conséquent décédées, ainsi que, pour les mêmes raisons, les tables décennales de mariage antérieures à l’année 1900.
La commission rappelle enfin que le second alinéa de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 prévoit que « La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. » et que, dans sa délibération n° 2010-460 du 9 décembre 2010, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a estimé que la loi du 6 janvier 1978 s’applique aux traitements de données à caractère personnel de personnes vivantes, mais également de personnes décédées, « dès lors que la divulgation de certaines informations serait susceptible de porter préjudice aux ayants droit de ces personnes ».
Compte tenu de la nature du traitement de données en cause, la commission en déduit que l’étude de généalogie ne pourra légalement réutiliser les données contenues dans les tables décennales que sous réserve d’avoir accompli auprès de la CNIL les « formalités préalables » prévues par les articles 22 et suivants de la loi du 6 janvier 1978.