Conseil 20190154 - Séance du 24/01/2019
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné, dans sa séance du 24 janvier 2019, votre demande de conseil relative à
1) la portée de la notion d'usage à des fins commerciales prévue par l'article L37 du code électoral, applicable à compter du 1er janvier 2019, en particulier en ce qui concerne la réutilisation à des fins de recherche scientifique,
2) la communicabilité à une personne physique, agissant pour le compte d'une personne morale autre qu'un groupement ou parti politique, aux données des listes électorales, aux fins de leur réutilisation à de telles fins,
3) en cas de réponse positive aux deux premières questions, la possibilité, pour des organismes privés tels que des laboratoires pharmaceutiques et fabricants de dispositifs médicaux, de réutiliser des données contenues dans les listes électorales à des fins de recherche scientifique dans le domaine de la santé.
A titre liminaire, la commission relève que la communication intégrale des listes électorales était, jusqu'au 1er janvier 2019, régie par les dispositions particulières des articles L28 et R16 du code électoral, qui prévoyaient que ces listes étaient communicables à tout candidat, parti ou groupement politique ainsi qu’à tout électeur, quel que soit le lieu où il est inscrit, à condition de s'engager à ne pas en faire un usage purement commercial. Depuis le 1er janvier 2019, ces dispositions, que la commission est compétente pour interpréter en vertu du 4° du A de l'article L342-2 du code des relations entre le public et l'administration, sont remplacées par celles du nouvel article L37, au même code, issues de l'article 7 de la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales. Cet article dispose que : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. / Tout candidat et tout parti ou groupement politique peuvent prendre communication et obtenir copie de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. ».
Dans son conseil n° 20183607 du 25 octobre 2018, la commission a constaté que le législateur avait, par la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016, étendu, à compter du 1er janvier 2019, l’exigence d’un engagement d’un usage conforme des listes électorales au code électoral aux candidats et groupements ou partis et que cet engagement portait sur l'absence d'usage « commercial », et non plus seulement d'usage « purement commercial ». La loi a également donné sa pleine portée à ce dispositif préventif en l’assortissant de mesures répressives, puisque l'usage commercial d'une liste électorale peut désormais être puni d'une amende de 15 000 €.
Sur la première question, la commission souligne, en premier lieu, que les dispositions particulières de l'article L37 du code électoral dérogent à celles du 1° de l'article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, lesquelles font obstacle à la communication aux tiers d'informations mettant en cause la vie privée de personnes physiques identifiables, telles que les date et lieu de naissance ainsi que le domicile.
En deuxième lieu, par sa décision n° 388979 du 2 décembre 2016, le Conseil d'Etat a jugé que les anciennes dispositions des articles L28 et R16 du code électoral avaient pour objet de concourir à la libre expression du suffrage. La commission constate qu'eu égard à leurs termes et à leur contexte, les dispositions de l'article L37 du code électoral conservent le même objet.
En troisième lieu, la commission considère qu'il résulte des dispositions de l'article L37 du code électoral, éclairées par les travaux préparatoires dont elles sont issues, que le législateur a entendu conforter, sans l'infléchir, sa doctrine fondée sur l'ancien troisième alinéa de l’article R16 du code électoral, en ce qui concerne l'engagement d'un électeur à ne pas faire un usage commercial de la réutilisation des données du rôle électoral. Il ressort, en effet, des travaux parlementaires que la suppression du qualificatif « purement » répondait au souhait de lever une ambiguïté, ce que la commission avait déjà fait pour sa part.
La commission déduit de ce qui précède que les conditions posées par l'article L37 du code électoral, dans sa nouvelle rédaction, à l'accès aux données extraites du rôle électoral sous réserve de ne pas en faire un usage commercial doivent être interprétées strictement.
La commission rappelle, à cet égard, qu'il résulte de la décision précitée n° 388979 du Conseil d'Etat du 2 décembre 2016 que la collectivité saisie d'une demande d'accès au rôle électoral dispose de la faculté de solliciter du demandeur la production d'éléments complémentaires susceptibles d'éclairer ses intentions et peut, si elle estime, nonobstant l'engagement pris par le demandeur, qu'il existe des raisons sérieuses de penser que l'usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial, opposer un refus de communication de la liste électorale. La commission considère que la collectivité peut, de manière analogue, solliciter des informations complémentaires si elle estime que l'électeur agit pour le compte d'une personne morale, non mentionnée par l'article L37 du code électoral, poursuivant des fins commerciales (avis n° 20132865 du 12 septembre 2013)
Sur le fondement du dernier alinéa de l'article R16 du code électoral, la commission avait considéré que le caractère purement commercial ou non de l’usage des listes s’appréciait au regard de l’objet de la réutilisation envisagée et de l’activité dans laquelle elle s’inscrivait, de la forme juridique retenue par le réutilisateur pour poursuivre cette activité, l'existence ou l'absence de ressources tirées de cet usage constituant à cet égard de simples indices. Elle a regardé, de manière constante, comme purement commerciales non seulement la commercialisation des données elles-mêmes, le cas échéant après retraitement, mais aussi leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif. Elle a ainsi exclu la communication des listes électorales à un avocat, pour appuyer un recours (avis n° 20100921 du 11 mars 2010), à des assureurs, pour la recherche d’un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie s’inscrivant dans le cadre de leur activité commerciale, en dépit de l’intérêt général qui s’attache à ce que de tels contrats ne demeurent pas en déshérence (conseil n° 20160214 du 3 mars 2016), à des généalogistes professionnels, dès lors que l’emploi des listes électorales, qui facilite la recherche des héritiers d’une succession dans le cadre des contrats de révélation conclus par les généalogistes professionnels, participe nécessairement à l’exercice de l’activité de ces derniers, qui présente un but exclusivement lucratif (conseil n° 20091074 du 2 avril 2009). La commission qualifie également d’usage commercial, au sens de véritablement commercial, les usages mixtes qui peuvent en être faits (par exemple, pour l’organisation d’une consultation populaire sur le maintien de la licence d’armateur délivrée à une société d’exploitation de ferrys, conseil n° 20094400 du 22 décembre 2009), seules les activités non commerciales pour le tout, comme le démarchage politique (avis n° 20071983 du 24 mai 2007) ou des actions d’intérêt général (conseil n° 20064862 du 9 novembre 2006) échappant à cette qualification.
Sur le fondement des nouvelles dispositions de l'article L37 du code électoral, la commission a estimé que des données extraites du rôle électoral n'étaient pas communicables à des huissiers de justice agissant en dehors des missions de service public de la justice qui leur sont attribuées par le premier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (conseil n° 20183607 précité).
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commission considère que la méthode d'appréciation de l'usage commercial des listes électorales doit s'inscrire dans la continuité de sa doctrine antérieure, sans qu'aient d'incidence à cet égard ni le caractère directement commercial ou non de la réutilisation, ni l'échéance à laquelle celle-ci est susceptible de constituer une source de profit pour la personne qui en demande l'accès ou pour le compte de laquelle elle est susceptible d'en demander l'accès, ni le caractère éventuellement mixte, commercial et non commercial, de la finalité poursuivie par le demandeur. Il peut également être tenu compte du contexte dans lequel l'électeur demande communication des données, notamment s'il est salarié d'une personne morale pour le compte de laquelle il sollicite l'accès aux données électorales susceptible de bénéficier de la réutilisation ou s'il est susceptible de tirer bénéfice, sous une forme quelconque, de la retransmission de ces données à des tiers.
S'agissant, en effet, de la seconde question, la commission estime que toute personne qui justifie par tous moyens ou déclare sur l'honneur être électrice peut accéder à et obtenir copie de la liste électorale et en a déduit qu'une personne physique ayant la qualité d'électeur peut y avoir accès pour le compte d'une personne morale qui n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'article L37 du code électoral.
L'indication d'une réutilisation à des fins de recherche scientifique n'est dès lors pas suffisante, à elle seule, pour apprécier si cette réutilisation revêt ou non un caractère commercial au sens des dispositions de l'article L37 du code électoral. Il convient d'apprécier de manière plus précise le contexte dans lequel la demande formulée par un électeur s'inscrit, notamment le type de recherche scientifique qu'il indique dans sa demande, ses liens avec la personne qui conduit ce projet de recherche, ainsi que le domaine et l'activité dans lesquels le projet de recherche scientifique s'inscrit, en particulier s'il a pour finalité, à une échéance plus ou moins éloignée, la commercialisation, à des fins lucratives, d'un produit ou d'un service.
La commission déduit de ce qui précède, pour répondre à la troisième question, qu'il appartient à la collectivité saisie par une personne physique ayant la qualité d'électeur d'une demande fondée sur l'article L37 du code électoral, de vérifier si cet électeur agit pour le compte ou au profit d'une personne morale et de lui faire préciser l'identité, la forme juridique de cette personne morale ainsi que son domaine d'activité, ses liens éventuels avec cette personne morale, ainsi que l'usage que cet électeur ainsi que la personne morale pour le compte de laquelle ou au profit de laquelle il agit entendent réserver aux données communiquées.
La commission relève que la communication d'extraits des listes électorales est susceptible d'être demandée par un électeur ayant par ailleurs la qualité de salarié d'un laboratoire pharmaceutique ou de fabricant de dispositifs médicaux, de fournisseur de prestation de services à de telles entreprises, ou encore de promoteur, au sens de l'article L209-1 du code de la santé publique, ayant notamment pour fonctions d'identifier des personnes susceptibles de participer, sans finalité thérapeutique directe à leur bénéfice, à des essais, études ou expérimentations organisés et pratiqués sur l'être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales. En présence d'un lien de subordination ou d'un lien d'affaires entre cet électeur et un tel organisme de droit privé, la commission considère que la réutilisation revêt, pour le demandeur un caractère commercial au sens et pour l'application de l'article L37 du code électoral.
La commission estime que, quel que soit l'intérêt public de la recherche scientifique sur les médicaments et les dispositifs médicaux, la communication de données extraites du rôle électoral demandée, pour le compte d'un laboratoire médical ou d'un fabricant de dispositifs médicaux ou au bénéfice de tels personnes morales, par un électeur, revêt, dès lors qu'elle a pour finalité la commercialisation de médicaments et de dispositifs médicaux à des fins lucratives, fût-ce à une échéance éloignée, une finalité commerciale au sens et pour l'application de l'article L37 du code électoral. Elle ne peut donc être légalement formée sur ce fondement.