Conseil 20190911 - Séance du 05/09/2019
La commission d'accès aux documents administratifs a examiné dans sa séance du 5 septembre 2019 votre demande de conseil relative au secret des affaires.
La commission rappelle que la Haute autorité de santé est une autorité administrative indépendante à caractère scientifique dont les missions, définies aux articles L161-37 à 161-40-1 du code de la sécurité sociale, peuvent être classées en deux blocs : évaluation et recommandation, et accréditation et certification. Elle évalue à ce titre les médicaments, les dispositifs médicaux et les actes en vue de leur remboursement, elle recommande les bonnes pratiques et élabore des recommandations de santé publique ; enfin, elle mesure et évalue la qualité des établissements et professionnels de santé. Elle comprend, notamment, trois commissions spécialisées qui ont pour mission d’émettre des avis, qui sont rendus publics, sur la prise en charge des produits de santé par la collectivité et les ordres du jour et procès-verbaux de ces commissions sont également publiés sur le site internet de la Haute autorité.
A titre liminaire, la commission rappelle qu’elle n’est compétente pour apprécier la portée du secret des affaires qu’en ce qui concerne la protection de ce secret dans le cadre du droit d’accès aux documents administratifs en application des dispositions du 1° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration et qu’elle n’a ainsi, pas été rendue compétente pour apprécier de manière générale la portée de l’article L151-1 du code de commerce, ni de manière particulière pour connaître du régime de publication des actes de la Haute autorité de santé, dont l’article L161-37 du code de la sécurité sociale qui réserve la seule protection du secret des stratégies commerciales lorsque la Haute autorité publie les ordres du jour et les comptes-rendus des réunions de la commission de la transparence.
La commission relève, également, que le régime de publication des actes des différentes commissions mises en place par la Haute autorité n’est pas identique. Pour les commissions de l’autorité qui ne font pas l’objet de dispositions particulières à l’instar de la commission de la transparence, les dispositions générales relatives à la transparence de l’expertise sanitaire qui leur sont applicables (articles L1451-1-1 et R1451-6 du code de la santé publique), se bornent, au niveau réglementaire, à prévoir que leurs comptes-rendus sont publiés sous réserve des secrets protégés par la loi, ce que la commission comprend comme renvoyant à une protection plus élevée, dans les conditions de droit commun de l’accès aux documents administratifs. Par exemple, dans le compte-rendu de commission d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé que vous lui soumettez, dont le régime de protection est celui de droit commun, les mentions dont l’industriel demande l’occultation relatives aux difficultés d’approvisionnement ne relèvent pas, en elles-mêmes, du secret des stratégies commerciales. En revanche, ces mentions pourraient, dans des circonstances particulières, avoir à être occultées dans le cadre d’un droit d’accès en application du 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration qui réserve la communication des mentions relatives à un comportement dont la divulgation est susceptible de nuire à son auteur. Il en résulte qu’une même information est ou non protégée selon l’instance dans laquelle elle est mentionnée, ce qui peut manquer de lisibilité pour les tiers et s’avérer d’un maniement délicat pour la Haute autorité.
La commission constate enfin que les dispositions du code de la sécurité sociale relatives à la publicité des ordres du jour et comptes-rendus de la commission de la transparence ne réservent que le secret des stratégies commerciales, ce qui n’est qu’une des composantes du secret des affaires mentionné à l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, lequel comprend outre ce secret, le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières ainsi que le secret des stratégies industrielles.
Au regard de ces développements liminaires, la commission suggère à la Haute autorité de santé de s’interroger sur l’opportunité d’uniformiser les régimes de publication de ses avis et comptes-rendus.
I. Sur la première question :
La commission rappelle que la substitution des termes « industriel et commercial » par la notion « des affaires », opérée par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires à l’article L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, n’a pas modifié les composantes matérielles du secret, qui constituent un prérequis nécessaire au sens de ce texte. Ainsi, une information ne peut être regardée comme relevant du secret des affaires si elle ne se rattache pas matériellement soit au secret des procédés, soit au secret des informations économiques et financières soit au secret des stratégies commerciales ou industrielles.
La commission estime qu’il y a cependant lieu de tenir compte de l’article L151-1 du code du commerce qui prévoit que pour être protégée par le secret des affaires une information doit répondre à trois conditions cumulatives : ne pas être connue du grand public et/ou du secteur professionnel concerné ; avoir une valeur commerciale, réelle ou potentielle, parce que secrète ; faire l’objet de mesures spécifiques destinées à la garder confidentielle.
La commission considère que le critère matériel ne peut à lui seul justifier une protection et que les informations ne relèvent de ce secret que si dans leur globalité ou dans la configuration et l'assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations, ou ne leur étaient pas aisément accessibles et qu’elles avaient une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait (avis 20183478 du 21 mars 2019).
S’agissant du critère dit « subjectif » tenant aux mesures prises par leur détenteur légitime pour conserver les informations secrètes mentionné au 3° de l’article L151-1 du code de commerce, la commission estime, en l’état actuel de sa doctrine, qu’en matière de droit d’accès, il n’a pas de portée propre et qu’il est, en principe, satisfait lorsque les deux autres composantes du secret des affaires sont remplies, à savoir que les informations en cause n’étaient pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s'occupent normalement du genre d'informations, ou ne leur étaient pas aisément accessibles et qu’elles avaient une valeur commerciale effective ou potentielle de ce fait. Elle estime en effet, en l’état des avis et conseils qu’elle a rendus, qu’il ne saurait être déduit qu’une information ne relève pas du secret des affaires du seul motif de l’insuffisance des mesures de protection mises en place par le détenteur légitime de ces informations.
II. Sur la deuxième question :
La commission rappelle qu’il appartient à l’administration qui entend opposer à la communication d’un document administratif un secret protégé d’être en mesure de le justifier. Dans l’hypothèse où l’administration demande à une entité de lui formuler des propositions d’occultations de mentions relevant du secret des affaires, il lui appartient donc de lui demander de justifier du caractère secret des informations dont elle demande l’occultation au regard tant des critères matériels que des critères tenant à leur confidentialité, à leur valeur commerciale, réelle ou potentielle, parce que secrète et aux mesures de protection dont elles font l’objet, afin d’être elle-même en mesure d’apprécier la pertinence des propositions et de fonder son éventuel refus de communication. Ainsi, la commission a-t-elle estimé que lorsqu’elle invoque un tel secret au regard des actes formels qu’elle a émis, l’administration doit être en mesure de justifier de la prise en compte de ces critères et que lorsque ces conditions ne sont pas réunies, il n'y a pas lieu d'effectuer, sur le fondement du code des relations entre le public et l'administration, des occultations préalablement à la communication d'un document administratif (avis 20183968 du 28 février 2019).
III. Sur la troisième question :
La commission partage la plupart de vos propositions. Elle attire toutefois votre attention sur les points suivants.
- En premier lieu, elle estime que les volumes des ventes d’un produit aux établissements de santé, qui sont des données mises en commun par certains industriels dans le cadre d’un groupement d’intérêt économique d’initiative privée, ne sont pas de données publiques et semblent, eu égard à leur objet, relever du secret des affaires, alors même que l’administration y aurait accès. Elles ne sont donc pas communicables, sauf à ce qu’un industriel lève le secret pour les informations qui le concernent.
- En deuxième lieu, les données de pharmacovigilance et de matériovigilance ne sont, par nature, pas des données commerciales et ne relèvent pas du secret des affaires, quand bien même elles pourraient permettre de déduire, dans certaines situations, le volume des ventes.
- En troisième lieu, la commission a estimé dans un avis 20182177 du 6 décembre 2018 que les clauses de remises conventionnelles liées au volume de vente des conventions conclues avec le Comité économique des produits de santé relevaient du secret des affaires dès lors que si en raison de leur caractère mathématique, elles ne révélaient, en elles-mêmes, aucune mention relevant du secret des affaires, combinées au prix limite de vente qui est rendu public, elles permettent de déterminer les remises consenties par les fabricants en fonction de leur niveau d’activité et par suite le prix réel de vente négocié entre ces sociétés et le Comité économique des produits de santé.
- En quatrième lieu, la commission estime que le ratio différentiel coût résultat revendiqué par l’industriel relève a priori du secret des affaires, en ce qu’il situe un produit par rapport aux produits concurrents. Toutefois, la commission estime que le secret des affaires n’empêche pas la Haute autorité de santé de rendre publique une information adéquate inspirée de ce ratio lorsque l’intérêt supérieur de la santé publique le justifie.
- En dernier lieu, la commission estime qu’il n’y a jamais lieu d’occulter les noms des personnes qui interviennent au soutien des industriels dans le cadre des démarches effectuées auprès de la Haute autorité dans le cadre du droit d’accès.
IV. Sur la quatrième question relative aux études non publiées :
La commission estime que les résultats des études cliniques qui sont produits par les fabricants auprès de la Haute autorité de santé à l’appui de leur demande ne peuvent relever d’un secret protégé. En effet, d’une part, il résulte tant du règlement européen 536/2014 du 16 avril 2014 que l’article L1121-15 du code de la santé publique, créé par l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine, que les recherches impliquant la personne humaine et leurs résultats ont vocation à être rendus publics. L’absence de décret d’application de ce dernier article qui ne permet pas la mise en place, au niveau national, du répertoire d’accès public à de telles recherches est à cet égard sans incidence. D’autre part, la commission considère que dès lors que le fabricant s’en prévaut auprès de la Haute autorité de santé, cette dernière est fondée à prendre en compte les résultats d’une étude non publiée pour sa prise de décision et à en faire état dans les avis et comptes-rendus qu’elle est tenue de rendre publics lorsqu’ils fondent sa décision, sans que puisse lui être opposée une absence de publication de ladite étude.