Avis 20221729 - Séance du 21/04/2022

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Avis 20221729 - Séance du 21/04/2022

Mairie du Cannet

Madame X, pour X, a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 15 mars 2022, à la suite du refus opposé par le maire du Cannet à sa demande de communication, par courrier électronique ou sur support numérique de type CDRom ou clef USB, de la liste électorale de la commune.

En l'absence de réponse du maire du Cannet à la date de sa séance, la commission rappelle qu'aux termes de l'article L37 du code électoral : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial (...) ».

La commission indique, en premier lieu, que la communication des listes électorales est subordonnée à la condition que le demandeur fasse la preuve de sa qualité d'électeur. Elle estime, dans le silence des textes, que la preuve de la qualité d’électeur peut se faire par tout moyen, sans qu’il y ait lieu d’exiger la production d’un titre d’identité ou de la carte d’électeur. Elle considère qu’une attestation sur l’honneur peut suffire, dès lors que le demandeur produit les éléments permettant à l’administration de vérifier l’effectivité de son inscription sur une liste électorale, à savoir ses nom et prénom(s) et le nom de la commune où il allègue être inscrit.

La commission précise, en second lieu, que le législateur subordonne l'exercice du droit d'accès aux listes électorales à l'engagement, de la part du demandeur, de ne pas en faire un usage commercial, afin d'éviter toute exploitation commerciale des données personnelles.

Elle estime qu’un engagement pris par écrit suffit en principe, qu’il soit formalisé dans un courriel ou dans un courrier sous format papier, pour justifier de cet engagement. Elle relève néanmoins que l'autorité compétente est fondée à rejeter la demande de communication dont elle est saisie s'il existe, au vu des éléments dont elle dispose, nonobstant l'engagement pris par le demandeur, des raisons sérieuses de penser que l'usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial (CE, 2 décembre 2016, n° 388979).

La commission considère que le caractère commercial ou non de l’usage des listes s’apprécie notamment au regard de l’objet de la réutilisation envisagée et de l’activité dans laquelle elle s’inscrit, la forme juridique retenue par le demandeur pour poursuivre cet objectif et l'existence ou l'absence de ressources tirées de cet usage constituant à cet égard de simples indices. A cet effet, elle estime qu'il est loisible à l'autorité compétente de solliciter du demandeur qu'il produise tout élément d'information de nature à lui permettre de s'assurer de la sincérité de son engagement, de ne faire de la liste électorale qu'un usage conforme aux dispositions de l'article L37 du code électoral. L'absence de réponse à une telle demande peut être prise en compte, parmi d'autres éléments, par l'autorité compétente afin d'apprécier, sous le contrôle du juge, les suites qu'il convient de réserver à la demande dont elle est saisie.

En l'espèce, la commission constate que Madame X a justifié de sa qualité d'électeur et a présenté en cette qualité, une demande d’accès à la liste électorale de la commune du Cannet, en produisant à l’appui de sa demande une attestation de non-utilisation commerciale.

Elle comprend que cette dernière a pour projet d’utiliser les informations figurant sur la liste électorale dont la communication est demandée dans le cadre d’investigations journalistiques, dans la perspective d’écrire un article de presse destiné à être publié dans un quotidien national payant, moyennant une rétribution financière. La commune du Cannet déduit de ces éléments que l’usage de la liste électorale revêt, en l’espèce, un caractère commercial.

La commission relève que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne comporte pas de droit général d'accès aux documents publics. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’Homme a tiré de son article 10 un droit d’accès limité à l’information détenue par toute autorité publique, lorsque l'accès à cette information est déterminant pour l'exercice par l'individu de son droit à la liberté d'expression, en particulier la liberté de recevoir et de communiquer des informations, au regard du but de la demande, de la nature des informations recherchées, du rôle assumé par le demandeur dans la société, et de la disponibilité des informations demandées. La Cour prête une attention particulière à l’intérêt public qui s’attache aux informations demandées, lorsqu’elles suscitent une « forte controverse », portent sur un « thème social important » ou sur « un sujet dont le public aurait intérêt à être informé » (CEDH, Gde Chambre, 6 novembre 2016, X, §§ 160-163).

Lorsque l’existence de ce droit est établi et à supposer qu’une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression soit caractérisée, la Cour apprécie ensuite, au terme d’un examen de proportionnalité, si cette ingérence est justifiée par un but légitime et si elle est strictement nécessaire et proportionnée (CEDH, 10 juillet 2006, X c/ République Tchèque, req. no 19101/03). Cette grille de lecture a été reprise par le Conseil d’Etat (CE, 3 juin 2020, n° 421615 ou plus récemment, CE, 8 avril 2022, n° 447701).

La commission observe, par ailleurs, que la Cour assure, dans le cadre de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention, une protection renforcée à la liberté de la presse, eu égard à son rôle éminent dans une société démocratique en relevant qu’il lui incombe, notamment « de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d'intérêt général » et qu’ « à sa fonction qui consiste à en diffuser s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir ». (CEDH, 24 février 1997, X c. Belgique Recueil 1997-I, pp. 233-234).

La commission estime que le droit d’accès aux listes électorales, dans le cadre particulier d’investigations journalistiques, doit être apprécié à la lumière des exigences attachées au respect de la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle relève que les informations figurant sur la liste électorale sollicitée sont en l’espèce déterminantes pour l’exercice par la demanderesse de la liberté de recevoir et de communiquer des informations dans le cadre de son activité journalistique, pour nourrir le débat sur une question d’intérêt public. La commission estime, dès lors, que la rédaction d’un article de presse par Madame X à partir de ces informations, quel que soit son support de diffusion, ne saurait être qualifiée d'usage commercial au sens des dispositions précitées de l'article L37 du code électoral.

Elle émet, par suite, un avis favorable à la demande.