Avis 20245557 - Séance du 10/10/2024

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Avis 20245557 - Séance du 10/10/2024

Ministère de l'intérieur

Monsieur XX, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 9 août 2024, à la suite du refus opposé par le ministre de l'intérieur à sa demande de communication de la version complète du tableau des candidatures aux législatives 2024.

A titre liminaire, la commission précise que le tableau des candidatures sollicité, élaboré par les services du ministère de l’intérieur, comporte notamment les colonnes suivantes : nom et prénoms du candidat et de son suppléant, date de naissance, nuance politique attribuée par l’administration pour la présentation des résultats, profession, sexe, étiquette politique déclarée par le candidat, rattachement déclaré par le candidat pour l’application de la loi du 11 mars 1988 et rattachement déclaré par le candidat pour l’application de l’article L167-1 du code électoral.

1. Pour ce qui concerne le régime de communication :

Le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 permet aux services du ministère de l’intérieur de mettre en œuvre deux traitements de données à caractère personnel concernant les candidats aux élections au suffrage universel et les mandats électoraux et fonctions électives que ces élections ont vocation à pourvoir : « Application élection » et « Répertoire national des élus ». Le traitement dénommé « Application élection » comprend les données relatives aux candidatures enregistrées ainsi que les résultats obtenus par les candidats. En vertu de l’article 5 de ce décret, y sont enregistrés, notamment, les nom, prénoms, sexe, nationalité, date et lieu de naissance de chaque candidat, ses adresse, coordonnées téléphoniques et adresse de messagerie électronique, l’étiquette politique qu’il a déclarée lors du dépôt de candidature, la nuance politique qui lui a été attribuée par l'administration et sa profession. L’article 8 de ce décret prévoit que l’ensemble de ces données et informations, à l’exception de celles relatives aux adresses et coordonnées des personnes concernées, est communicable à toute personne en faisant la demande, dans les conditions prévues par l’article L311-9 du code des relations entre le public et l'administration. L’article 6 du même décret dispose en outre qu’est également enregistré le rattachement déclaré, le cas échéant, par le candidat à un parti ou groupement politique afin que ce dernier bénéficie de l’aide publique prévue par la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

Le ministre de l’intérieur souligne que le rattachement déclaré par les candidats pour l’application de la loi du 11 mars 1988 n’est pas au nombre des données et informations dont la communication est prévue par le décret du 9 décembre 2014. La commission considère cependant, d’une part, que ce texte réglementaire ne peut être regardé comme organisant un régime d’accès particulier exclusif du régime du droit d’accès aux documents administratifs, institué par la partie législative du code des relations entre le public et l'administration.

D’autre part, la commission constate que le rattachement déclaré par un candidat à un parti ou groupement politique pour l’accès de ce dernier aux émissions du service public de la communication audiovisuelle pendant la campagne électorale n’est pas au nombre des données dont l’enregistrement est prévu dans l’ « Application élection ».

Elle en déduit que l’accès au tableau des candidatures élaboré par les services du ministère de l’intérieur peut s’exercer sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration.

2. Pour ce qui concerne le rattachement déclaré pour l’application de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique :

En premier lieu, la commission relève qu’en vertu de l’article 8 de la loi du 11 mars 1988, le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances de l'année pour être affecté au financement des partis et groupements politiques est divisé en deux fractions égales : une première fraction destinée au financement des partis et groupements en fonction de leurs résultats aux élections à l'Assemblée nationale et une seconde fraction spécifiquement destinée au financement des partis et groupements représentés au Parlement. Aux termes de l’article 9 de cette loi, la première fraction de ces aides est attribuée : « - soit aux partis et groupements politiques qui ont présenté lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions ; / - soit aux partis et groupements politiques qui n'ont présenté des candidats lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale que dans une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie et dont les candidats ont obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans l'ensemble des circonscriptions dans lesquelles ils se sont présentés. / La répartition est effectuée proportionnellement au nombre de suffrages obtenus au premier tour de ces élections par chacun des partis et groupements en cause. Il n'est pas tenu compte des suffrages obtenus par les candidats déclarés inéligibles au titre de l'article LO 128 du code électoral. / En vue de la répartition prévue aux alinéas précédents, les candidats à l'élection des députés indiquent, s'il y a lieu, dans leur déclaration de candidature, le parti ou groupement politique auquel ils se rattachent. Ce parti ou groupement peut être choisi sur une liste établie par arrêté du ministre de l'intérieur publié au Journal officiel de la République française (…), ou en dehors de cette liste. La liste comprend l'ensemble des partis ou groupements politiques qui ont déposé au ministère de l'intérieur (…) une demande en vue de bénéficier de la première fraction des aides prévues à l'article 8. / Lorsqu'un candidat s'est rattaché à un parti ou à un groupement politique qui ne l'a pas présenté, il est déclaré n'être rattaché à aucun parti en vue de la répartition prévue aux quatrième et cinquième alinéas du présent article. (…) ».

Il résulte de ces dispositions, ainsi que la commission l’a retenu dans son avis de partie II n° 20175498 du 8 février 2018, que les formulaires de déclaration de rattachement que doivent remplir les candidats aux élections législatives pour l’application de la loi du 11 mars 1988 ont été mis en place dans le seul but de déterminer le montant de la première fraction de l'aide publique au financement des partis ou groupements politiques. Ce montant est défini, en proportion, par le nombre de suffrages recueillis par l'ensemble des candidats rattachés à un même parti au premier tour des élections des députés, après vérification de la concordance des rattachements individuels avec la liste des candidats présentés par les partis et groupements politiques et du respect de l’obligation de parité, et l’éventuelle soustraction des suffrages recueillis par les candidats déclarés inéligibles par le Conseil constitutionnel. Il est arrêté par l'adoption du premier décret annuel de répartition de l'aide publique aux partis politiques suivant le plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale. La commission considère, en conséquence, que ces déclarations de rattachement revêtent un caractère préparatoire tant que ce décret n'est pas intervenu.

Elle note qu’en l’espèce, ce décret n’a pas encore été édicté à la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Dès lors, les mentions du tableau des candidatures relatives au rattachement pour l’application de la loi du 11 mars 1988 présentent encore, à ce jour, un caractère préparatoire au sens du deuxième alinéa de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration.

En deuxième lieu, la commission observe que Monsieur X, qui est journaliste, souligne l’intérêt général qui s’attacherait à la communication de ces mentions, en dépit de leur caractère préparatoire.

Elle rappelle que si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’accorde pas un droit d’accès à toutes les informations détenues par une autorité publique ni n’oblige l’État à les communiquer, il peut en résulter un droit d’accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l’accès à ces informations est déterminant pour l’exercice du droit à la liberté d’expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, leur disponibilité, le but poursuivi par le demandeur et son rôle dans la réception et la communication au public d’informations. Dans cette hypothèse, le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés au point 2 de l’article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

A supposer que le demandeur ait entendu se prévaloir de ces stipulations, la commission souligne que le caractère préparatoire d’un document constitue une réserve temporaire au droit d’accès aux documents administratifs, qui vise « à assurer la sérénité du processus d’élaboration des décisions au sein de l’administration et donc à garantir le bon fonctionnement de cette dernière » et qui est par suite justifiée par un motif d’intérêt général, ainsi que l’a précisé le Conseil d’État dans sa décision du 24 février 2022, n° 459086. Elle note en l’espèce que le ministre de l’intérieur indique que le décret annuel de répartition de l'aide publique aux partis politiques interviendra dans le courant de l’année 2025. Il n’apparaît par ailleurs pas à la commission que l’accès immédiat à ces mentions, avant l’intervention de ce décret, présenterait un intérêt déterminant pour l’information du public et le débat public.

Elle en déduit que le refus opposé par le ministre de l’intérieur à la communication, à ce stade, de ces mentions à raison de leur caractère préparatoire est légalement justifié, nécessaire et proportionné aux buts poursuivis. Elle émet dès lors un avis défavorable à la demande en tant qu’elle porte sur la communication des mentions du tableau des candidatures relatives au rattachement déclaré pour l’application de la loi du 11 mars 1988.

En dernier lieu, la commission précise qu’une fois le décret de répartition de l’aide publique aux partis politiques édicté, les mentions du tableau des candidatures relatives au rattachement déclaré par les candidats seront librement communicables à toute personne en faisant la demande (avis de partie II n° 20175498 du 8 février 2018 précité), dans leur intégralité. Elle souligne à cet égard que la circonstance que certains rattachements déclarés ne participeront pas effectivement à la détermination du montant de la première fraction, en application des règles de calcul fixées par l’article 9 de la loi du 11 mars 1988, est par elle-même dépourvue de toute incidence sur le caractère communicable du tableau intégral tenu par les services du ministère de l’intérieur.

3. Pour ce qui concerne le rattachement déclaré pour l’application de l’article L167-1 du code électoral :

En premier lieu, la commission relève que, pendant la campagne électorale, les émissions du service public de la communication audiovisuelle sont mises à la disposition des partis et groupements politiques dans les conditions prévues par l’article L167-1 du code électoral. Chaque parti ou groupement politique qui en fait la demande, dès lors qu'au moins soixante-quinze candidats indiquent s'y rattacher, peut ainsi bénéficier d’une durée d’émission de sept minutes pour le premier tour de scrutin et de cinq minutes pour le deuxième tour de scrutin. En vertu de l’article R103-1 du même code, en vue de la mise à disposition des émissions du service public de la communication audiovisuelle, chaque parti ou groupement politique adresse d’abord sa demande au ministre de l'intérieur. La liste des partis ou groupements politiques ayant transmis leur demande est ensuite publiée au Journal officiel de la République française. Les candidats peuvent alors indiquer dans leur déclaration de candidature le parti ou le groupement politique auquel ils se rattachent, choisi dans la liste ainsi publiée. Après vérification et dénombrement des déclarations de rattachement indiquées par les candidats, la liste des partis ou groupements politiques pouvant bénéficier des émissions est arrêtée par le ministre de l'intérieur et publiée au Journal officiel de la République française au plus tard le troisième mardi qui précède le premier tour de scrutin.

Il résulte de ces dispositions que les formulaires de déclaration de rattachement que doivent remplir les candidats aux élections législatives pour l’application de l’article L167-1 du code électoral ont été mis en place dans le seul but de déterminer la liste des partis ou groupements politiques pouvant bénéficier des émissions de service public audiovisuel, fixée par arrêté du ministre de l’intérieur. La commission considère, en conséquence, que ces déclarations de rattachement revêtent un caractère préparatoire tant que cet arrêté n’est pas intervenu.

Elle note qu’en l’espèce, pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, cet arrêté a été publié au Journal officiel 17 juin 2024. Dès lors, les mentions du tableau des candidatures relatives à ces rattachements ne présentent plus, à la date de la présente séance, de caractère préparatoire.

En deuxième lieu, la commission souligne que si la vie privée des candidats aux élections politiques doit, en principe, bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens, les fonctions auxquelles ils prétendent justifient toutefois que certaines informations les concernant puissent être communiquées, dans la limite de ce qui est nécessaire à la transparence démocratique. Elle estime ainsi que les mentions figurant dans les déclarations de candidature en vertu des dispositions du code électoral et reprises dans le tableau des candidatures, telles que les nom, prénoms, sexe, date et lieu de naissance et profession, n’excèdent pas l’information légitime des citoyens sur la qualité des candidats et sont par conséquent librement communicables à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration (avis de partie II n° 20123880 et 20123881du 22 novembre 2012, et n° 20211764 du 15 avril 2021).

Elle considère également, eu égard aux fonctions auxquelles se présentent les candidats à l'élection d'un député et au rôle des partis et groupements politiques dans l'expression du suffrage, tel que reconnu par l’article 4 de la Constitution, que le choix d'un candidat de se rattacher ou non à un parti politique pour permettre à ce dernier d’accéder aux émissions du service public audiovisuel durant la campagne électorale est nécessaire à la transparence démocratique et n’excède pas l’information légitime des citoyens.

La commission émet dès lors un avis favorable à la demande en tant qu’elle porte sur la communication des mentions relatives au rattachement déclaré pour l’application de l’article L167-1 du code électoral.

Il résulte de tout ce qui précède qu’à l’exception de la colonne relative au rattachement déclaré en vue de l’application de la loi du 11 mars 1988 qui présente, à ce stade, un caractère préparatoire, le tableau des candidatures sollicité est communicable à toute personne en faisant la demande, en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration.

Sous réserve de l’occultation ou de la disjonction préalable de cette colonne, la commission émet donc un avis favorable à la demande.