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Avis 20247496 - Séance du 09/01/2025
La présidente du Conseil national des barreaux a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 26 octobre 2024, à la suite du refus opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice à sa demande de communication des documents suivants, visés à l'article 41 du code de procédure pénale, sur les deux dernières années, concernant le rapport du procureur de la République sur les visites effectuées dans les locaux de gardes à vue :
1) les registres répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans les différents locaux de garde à vue ;
2) les rapports des procureurs de la République concernant les mesures de garde à vue et l'état des locaux de garde à vue de leur ressort, a minima les parties concernant l'état des locaux ;
3) le rapport annuel du garde des sceaux rendant compte de l'ensemble des informations recueillies dans les rapports des procureurs de la République.
A titre liminaire, la commission relève qu'aux termes de l'article 41 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. Il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an ; il tient à cet effet un registre répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans ces différents locaux. Il adresse au procureur général un rapport concernant les mesures de garde à vue et l'état des locaux de garde à vue de son ressort ; ce rapport est transmis au garde des sceaux. Le garde des sceaux rend compte de l'ensemble des informations ainsi recueillies dans un rapport annuel qui est rendu public ».
1. Sur la compétence de la CADA :
En premier lieu, la commission rappelle que les documents produits ou reçus dans le cadre et pour les besoins d’une procédure juridictionnelle, qu'elle soit de nature civile, pénale ou commerciale, ne présentent pas un caractère administratif et n'entrent donc pas dans le champ d'application du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en va ainsi, notamment, des jugements, ordonnances, décisions ou arrêts rendus par les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif. C'est aussi le cas, plus largement, des décisions du parquet, des dossiers d'instruction, des procès-verbaux d'audition, des rapports d'expertise ou des mémoires et observations des parties – c'est-à-dire de l'ensemble des pièces de procédure proprement dites – mais aussi des documents de travail internes à une juridiction, destinés à leurs membres et concourant à l'instruction des affaires ou à la formation des jugements (CE, 28 avril 1993, n° 117480). Ainsi, les documents, quelle que soit leur nature, qui sont détenus par les juridictions et qui se rattachent à la fonction de juger dont elles sont investies, tels par exemple des tableaux de roulement déterminant la composition d’une formation de jugement, n’ont, par suite, pas le caractère de document administratif au sens du livre III du code des relations entre le public et l'administration (CE, 7 mai 2010, n° 303168).
En l’espèce, la commission observe, d’une part, que les registres mentionnés à l’article 41 du code de procédure pénale précisent le nombre et la fréquence des contrôles de locaux de garde à vue effectués par les procureurs de la République au sein de leur ressort. Elle comprend, d’autre part, que les rapports mentionnés au même article analysent tant la manière dont se déroulent les gardes à vue que l’état des locaux dont lesquels elles se tiennent.
La commission en déduit que ces registres et rapports ont pour objet de rendre compte de la politique pénale et de l’activité générale du ministère public. Elle considère par suite que les documents sollicités aux points 1) et 2) sont détachables des fonctions juridictionnelles assurées par les magistrats du parquet et qu’ils constituent, dès lors, des documents administratifs au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
Il en va de même du rapport annuel du garde des sceaux mentionné au point 3) de la demande.
En second lieu, la commission rappelle que l'article 1er de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique fait obligation aux autorités administratives mentionnées au premier alinéa de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux autres administrations mentionnées au même article qui en font la demande pour l'accomplissement de leurs missions de service public. Aux termes de cet article L300-2 : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. (..) ».
La commission relève que le Conseil d’État a estimé que les instances professionnelles représentant la profession d’avocat sont des auxiliaires de justice qui participent au service public de la justice (CE, 7 février 1975, Ordre des avocats au barreau de Lille, n° 88611 ; CE, 7 septembre 1985, Ordre des avocats du barreau de Lyon, n°56543) et qu’il en est de même pour le Conseil national des barreaux (CE, Ass., 22 octobre 2015, avis n° 390397).
Elle précise que le Conseil national des barreaux (CNB) est, aux termes de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dans sa rédaction résultant de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale, notamment chargé de représenter la profession d’avocat auprès des pouvoirs publics, d’unifier par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat, de déterminer, en concertation avec le ministre de la justice, les modalités et conditions de mise en œuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d’interconnexion avec le « réseau privé virtuel justice », d’assurer l’exploitation et les développements des outils techniques permettant de favoriser la dématérialisation des échanges entre avocats, de gérer le paiement des avocats effectuant des missions d’aide juridique, de définir les principes d’organisation de la formation et d’en harmoniser les programmes, de coordonner et contrôler les actions de formation des centres régionaux de formation professionnelle.
La commission considère par conséquent que le CNB, personne morale de droit privé chargée de missions de service public, est une autorité administrative au sens de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l'administration, à laquelle l’article 1er de la loi du 7 octobre 2016 précitée garantit, sous les réserves prévues par les articles L311-5 et L311-6, un droit d’accès aux documents administratifs lorsqu’ils sont demandés pour l’accomplissement de ses missions.
En l’espèce, la présidente du CNB a fait valoir que les avocats interviennent régulièrement lors des procédures de garde à vue et qu’il leur est essentiel que les rencontres avec leurs clients se tiennent dans des locaux qui soient propices à l’exercice des droits de la défense.
La commission estime qu’eu égard à l’objet des documents sollicités, la demande est formulée par le CNB pour l’accomplissement de ses missions de service public relatives à l’organisation de la profession réglementée d’avocat (CE, 27 septembre 2022, n°450739). Elle se déclare, en conséquence, compétente pour connaître de la présente demande.
2. Sur la communication des documents :
En premier lieu, la commission déduit de l'article 41 du code de procédure pénale que le rapport annuel du garde des sceaux est communicable à toute personne qui en fait la demande, en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, elle rappelle qu'aux termes des 1er et 2ème alinéas de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ».
En l'espèce, le garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué que son rapport annuel pour les deux années concernées était encore en cours d'élaboration. La commission en déduit que le rapport sollicité au point 3) ne présente pas, à ce stade, un caractère achevé au sens de l’article L311-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Elle ne peut dès lors qu’émettre, à ce stade, un avis défavorable à la demande visée au point 3).
En deuxième lieu, la commission rappelle qu’en application des dispositions de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration, les documents administratifs sont en principe librement communicables, sous réserve des dispositions des articles L311-5 et L311-6 du même code.
L’article L311-5 prévoit, notamment, que ne sont pas communicables les documents dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente, ou à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d'infractions de toute nature.
L’article L311-6 s’oppose, notamment, à la communication à des tiers des documents dont la communication porterait atteinte au secret de la vie privée, des documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, ou des documents faisant apparaître le comportement d'une personne, physique ou morale, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.
La commission précise, enfin, qu’aux termes de l'article L311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L311-5 et L311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ». L’administration est en revanche fondée à refuser la communication du document dans son entier lorsque l’occultation partielle priverait ce document de son intelligibilité (CE, 25 mai 1990, n°86546) ou de son sens (CE, 4 janvier 1995, n° 117750), ou la communication de tout intérêt (CE, 26 mai 2014, n° 342339).
En l’espèce, la commission, qui n’a pas pu prendre connaissance des registres et rapports sollicités aux points 1) et 2) en dépit d’une mesure d’instruction, estime qu’ils sont communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve de l’occultation préalable, le cas échéant, des mentions qui relèveraient d’un des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l'administration, et notamment les mentions relatives à la sécurité, à la vie privée ou faisant état du comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui nuire.
En troisième lieu, le garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué à la commission que la communication des rapports sollicités au point 2) ferait peser sur ses services une charge de travail excessive en raison des occultations à effectuer sur plusieurs centaines de rapports.
La commission souligne cependant que toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne d’adresser soit plusieurs demandes à une même autorité soit des demandes multiples formulées à l’identique à plusieurs autorités, ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives.
Une demande peut en effet être regardée comme abusive lorsqu'elle a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou lorsqu’elle aurait pour effet de faire peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose (CE, 14 novembre 2018, n° 420055, 422500).
En l’espèce, compte tenu de la nature des documents demandés, précisément identifiés, du destinataire de la demande et de l’intérêt qui s’attache à leur communication, il n’est pas apparu à la commission, qui ne dispose d’aucun élément permettant d’apprécier l’ampleur des mentions à occulter, que la demande serait de nature à faire peser sur les services du ministère de la justice une charge de travail disproportionnée.
La commission émet, dès lors, un avis favorable à la demande de communication des registres et rapports mentionnés aux points 1) et 2), sous les réserves qui ont été précisées.