Avis 20221914 - Séance du 12/05/2022

Avis 20221914 - Séance du 12/05/2022

Agence Nationale d'Appui à la Performance (ANAP)

Monsieur X ont saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 31 mars 2022, à la suite du refus opposé par l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico‐sociaux (ANAP) à leur demande de communication de l'ensemble des documents et communications liés aux missions de conseil exercées par des cabinets privés pour le compte de l’ANAP entre le 14 mai 2017 et le 22 février 2022.

Sont plus particulièrement visés, pour chaque mission de conseil :
1) les documents relatifs à l'éventuel appel d'offres passé par l’ANAP : notamment le règlement de la consultation, le cahier des clauses techniques particulières, le cahier des clauses administratives particulières, et le rapport d'analyse des offres, mais également tout autre document communiqué aux entreprises candidates à l’appel d’offres ;
2) la correspondance entre l’ANAP et les candidats relative à l'appel d'offres ;
3) les documents relatifs à l'attribution du marché : notamment l’accord-cadre, l’offre d'engagement ou l’acte d'engagement, et les bons de commande, mais aussi tout autre document contractuel établi entre le ou les cabinets attributaires et l’ANAP ;
4) les documents relatifs à l'évaluation de la prestation : la fiche d'évaluation ou tout autre document assimilé ;
5) les « livrables » produits par le ou les cabinets attributaires ;
6) la correspondance entre l’ANAP et le ou les cabinets attributaires relative à l'évaluation des missions de conseil.

La commission relève, à titre liminaire, que la présente demande s’inscrit dans le cadre d’une série de demandes portant sur des documents de même nature et ayant le même objet, adressées par les mêmes demandeurs à vingt institutions publiques. En application de l’article 8 quater C de son règlement intérieur, cette demande a été choisie par la commission pour être examinée lors de sa séance du 12 mai 2022 en partie II, afin de dégager les principes de communication communs aux documents demandés et de procéder à une appréciation des données de fait susceptibles de varier d’un dossier à l’autre. La solution adoptée dans cet avis sera ensuite reprise dans les autres dossiers de la série donnant lieu à un avis de partie III inscrit à la même séance.

En premier lieu, la commission rappelle qu’une demande de communication de documents administratifs qui lui est adressée est déclarée sans objet lorsque l'autorité saisie communique spontanément le document demandé postérieurement à l’enregistrement de la demande ou lorsqu'il résulte des indications fournies par cette autorité que le document demandé n'a jamais existé, a été détruit ou a été égaré. Elle précise également, à toutes fins utiles, que le refus de communication n’est pas établi et la demande d’avis est déclarée irrecevable, lorsque l’administration saisie d’une demande de communication, communique spontanément dans les délais qui lui sont impartis le document demandé au demandeur.

En second lieu, la commission rappelle qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n°375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication.

Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…). En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 du 21 avril 2022, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, en tant que ces documents mentionnent les prix unitaires, lesquels doivent, dès lors, être occultés. L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la Commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.

En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :
- les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;
- dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises.

La Commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables.

En application de ces principes, la Commission émet un avis favorable à la communication des documents visés aux points 1) et 3) de la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires s’agissant du rapport d’analyse des offres et des bons de commande. En revanche, elle émet un avis défavorable à la communication du mémoire technique et de l’offre de prix détaillée remis par les candidats. La Commission émet également un avis favorable, sous les réserves sus-rappelées, à la communication des documents et correspondances relatifs à l’évaluation de la prestation en cours d’exécution du marché, visés aux points 4) et 6) de la demande.

En troisième lieu, s’agissant du point 2) de la demande, la commission comprend « la correspondance entre chaque institution et les candidats relative à l'appel d'offres » comme renvoyant à plusieurs étapes de la procédure de passation des marchés publics.

La Commission constate tout d’abord que la liste des questions formulées par les candidats en cours de procédure et les réponses qui y sont apportées par le pouvoir adjudicateur, est, en application des principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats, portée à la connaissance de l’ensemble des candidats, le plus souvent par voie de publication sur le profil acheteur de l’administration concernée. Dès lors qu’elle conserve un caractère général, en ce qu’elle ne révèle aucun détail technique ou financier d’une offre particulière, la commission estime que cette liste est librement communicable à toute personne en faisant la demande.

La Commission relève ensuite que le code de la commande publique autorise les acheteurs à demander aux candidats concernés de régulariser leur candidature ou leur offre, dans certaines conditions fixées par les textes. Dans la mesure où les dossiers de candidature des candidats non retenus ne sont pas communicables (Conseil n° 20065427 du 21 décembre 2006), la commission considère que les demandes de régularisation de ces dossiers ne le sont pas davantage. En revanche, la Commission estime que les demandes de régularisation du dossier de candidature de l’attributaire, ainsi que les demandes de régularisation des offres de l’ensemble des candidats, sont communicables à toute personne en faisant la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires.

S’agissant des échanges ou comptes rendus intervenant dans le cadre des négociations, d’une demande de précision ou d’une mise au point, la Commission considère que, dans la mesure où ceux-ci ont pour objet d’éclairer le pouvoir adjudicateur sur les éléments techniques et financiers de l’offre remise par le candidat ou de faire évoluer ces éléments, ces documents révèlent, par nature, la stratégie commerciale de l’entreprise concernée et, à ce titre, sont entièrement couverts par le secret des affaires (avis n° 20122602 du 26 juillet 2012). Ces documents ne sont, par conséquent, pas communicables.

Enfin, la Commission estime que les procès-verbaux de négociation, dans la mesure où ils se limitent à décrire la procédure de négociation et son organisation (durée, dates, personnes présentes, etc.) sans pour autant révéler le contenu des échanges intervenus, sont librement communicables à toute personne en faisant la demande.

La Commission émet donc, sous ces réserves, un avis favorable à la communication des documents sollicités au point 2).

En quatrième lieu, la Commission rappelle que les documents remis par l’attributaire d’un marché public dans le cadre de l’exécution du contrat sont des documents administratifs communicables au sens des articles L300-2 et L311-1 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet donc un avis favorable à la communication des documents visés au point 5) de la demande, sous réserve de l'occultation des éventuelles mentions qui révèleraient un secret protégé par la loi en application des dispositions des articles L311-5 et L 311-6 du CRPA.

Toutefois, dans l’hypothèse où certains des marchés de prestation de conseil visés par la demande auraient été conclus avec des cabinets d’avocat, la commission rappelle que le premier alinéa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ». En application de ces dispositions, le Conseil d'État a jugé que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention, sont des documents administratifs couverts par le secret professionnel (CE, ass., 27 mai 2005, Département de l'Essonne, n° 268564). Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de cassation que le secret professionnel de l’avocat couvre l’ensemble des pièces du dossier ainsi que l’ensemble des correspondances échangées entre l’avocat et son client, y compris celles de ces correspondances qui n’ont pas de rapport direct avec la stratégie de défense – comme la convention d'honoraires, ou les facturations afférentes émises par l’avocat (Cass., X 1ère, 13 mars 2008, pourvoi n° B05-11314).

En application de cette jurisprudence, la Commission considère que les pièces d’un marché de consultation d’avocat, tant au stade de la passation que de l’exécution, ne sont pas communicables aux tiers, dès lors que ces documents sont protégés par le secret professionnel (Conseil n° 20051797 du 9 juin 2005). Elle émet donc un avis défavorable sur tous les points de la demande, dans l’hypothèse où les missions de conseil objets de la demande auraient été confiées à un cabinet d’avocat.

En réponse à la demande d’observations qui leur a été adressée, certaines administrations ont indiqué à la Commission qu’elles considéraient la demande comme abusive au regard de l’importance du travail que représente l’identification des documents sollicités et les occultations à opérer, ainsi qu’au regard du caractère imprécis de la demande qui couvre une période de cinq ans.

La Commission souligne cependant qu'une demande ne peut être considérée comme abusive que lorsqu'elle vise de façon délibérée à perturber le fonctionnement d'une administration. Toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne de présenter plusieurs demandes à la même autorité publique ne sont pas nécessairement assimilables à des demandes abusives. Toutefois, en l'espèce, il ne lui est pas apparu, compte tenu de la nature des documents demandés, de la qualité des autorités saisies et des moyens dont elles disposent, du caractère précis de la demande qui vise une famille d’achats et une période bien identifiées, ainsi que des circonstances portées à sa connaissance, que cette demande présenterait un caractère abusif.