Avis 20232549 - Séance du 01/06/2023
Monsieur X a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, par un courrier enregistré à son secrétariat le 26 avril 2023, à la suite du refus opposé par le président de l’université de Lille à sa demande de communication, dans le cadre de l'allocation du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC), des rapports le concernant sans occultation de l’identité des rapporteurs.
1. Présentation du cadre juridique :
La commission relève qu’aux termes de l’article 2 du décret n° 2021-1895 du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs (RIPEC), le régime indemnitaire prévu par ce décret comprend trois composantes : deux indemnités et une prime individuelle, dite prime C3. L’attribution de cette prime n’est pas automatique et dépend de la qualité des activités et de l'engagement professionnel de ces personnels au titre de l’ensemble de leurs missions statutaires.
Cette prime leur est versée sur leur demande selon des modalités précisées à l'article 4 dudit décret. La procédure débute par le dépôt d’un dossier de candidature, accompagné d’un rapport d’activité portant sur les quatre années précédentes. La phase d’examen comporte la désignation, pour chaque candidat, à deux reprises, de deux rapporteurs, chargés de produire un rapport remis à deux instances collégiales : d’une part, le conseil académique siégeant en formation restreinte ou l'organe compétent pour examiner les questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs, d’autre part, la section compétente du Conseil national des universités. Ces instances délibèrent et émettent chacune un avis, qui est ensuite adressé au président ou au directeur de l'établissement d’affectation de l’agent, compétent pour prendre les décisions d’attribution individuelle de la prime dans la limite d’une dotation attribuée à cet effet par le ministre chargé de l’enseignement supérieur.
2. Principe de communication des documents administratifs afférents à la rémunération des agents publics :
La commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (...) ». Aux termes de l’article L311-6 de ce code : « Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (…) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ».
La commission rappelle, ensuite, que la vie privée des fonctionnaires et agents publics doit bénéficier de la même protection que celle des autres citoyens. Elle admet toutefois que les fonctions et le statut de ces personnels justifient que certaines informations les concernant puissent être communiquées sur le fondement du livre III du code des relations entre le public et l'administration. Il en est ainsi, notamment, de la qualité d'agent public, de l'adresse administrative, des arrêtés de nomination et, s'agissant de la rémunération, des composantes fixes de celle-ci : grade et échelon, indice de traitement, nouvelle bonification indiciaire (NBI), indemnités de sujétion.
Elle estime cependant que si les administrés doivent pouvoir accéder à certains renseignements concernant la qualité de leur interlocuteur, la protection, par l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, impose que ces aménagements soient limités à ce qui est strictement nécessaire à leur information légitime. Ainsi, les mentions intéressant la vie privée des agents (date de naissance, adresse personnelle, adresse électronique professionnelle, situation familiale, numéro de sécurité sociale, dates de congés, etc.) ou révélant une appréciation portée sur eux (éléments de rémunération qui sont fonction de la situation personnelle ou familiale ou de l'appréciation portée sur la façon de servir) ne sont pas communicables à des tiers en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
En application de ces principes, sont communicables à toute personne qui en fait la demande les éléments de rémunération qui résultent de l'application des règles régissant l'emploi concerné. En revanche, la commission émet des avis défavorables à la communication des éléments qui sont arrêtés d’un commun accord entre les parties sans référence à des règles la déterminant, ainsi que des informations liées soit à la situation familiale et personnelle de l’agent en cause (supplément familial) soit à sa manière de servir (primes de rendement), qui révèlent nécessairement une appréciation et un jugement de valeur portés sur cette personne.
3. Application au cas d’espèce :
En l’absence de réponse du président de l’université de Lille à la date de sa séance, la commission rappelle qu’elle considère, selon une position constante, que les rapports destinés à éclairer une instance collégiale chargée de formuler des proposition d’attribution de prime, constituent des documents administratifs communicables à chaque personne intéressée, sous réserve de l’occultation préalable d'éventuelles mentions portant une appréciation ou un jugement de valeur sur des personnes autres que le demandeur (s’agissant des rapports d’experts concernant la prime d’excellence scientifique, voir par exemple, avis n° 20101430 du 8 avril 2010 ou avis n° 20131380 du 11 avril 2013 ; s’agissant de la prime d’encadrement doctoral et de recherche, voir avis n° 20080716 du 7 février 2008).
En l’espèce, la commission relève que le demandeur a été destinataire des rapports le concernant établis dans le cadre de l’examen de sa candidature à l’attribution de la prime individuelle C3. L’identité des rapporteurs a en revanche été occultée.
Comme elle l’a fait dans son avis de partie II n° 20231796, inscrit à la même séance, la commission estime, toutefois, que cette information ne relève pas, par elle-même, de la vie privée des agents intéressés.
La commission considère ensuite de manière constante que les documents émanant d’agents publics établis dans le cadre de leurs fonctions ne sont pas couverts par la réserve prévue au 3° de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Elle estime, en outre, que la transparence sur l’identité des rapporteurs participe de la confiance dans leur indépendance et leur impartialité. Elle en déduit que cette réserve n’est pas davantage susceptible d’être mobilisée pour faire obstacle à la communication de l’identité des rapporteurs.
Elle précise, enfin, que, par une décision n° 371453 du 17 février 2016 « Centre national de la fonction publique territoriale », le Conseil d'État a jugé qu'en prévoyant la communication des documents administratifs dans les conditions prévues par les articles 1 et 2 de la loi du 17 janvier 1978, désormais reprise dans le code des relations entre le public et l'administration, le législateur n’a pas entendu porter atteinte au principe d’indépendance des jurys d’où découle le secret de leurs délibérations et, par suite, permettre la communication tant des documents de leurs délibérations que de ceux élaborés préalablement par les jurys en vue de leurs délibérés.
La commission rappelle, toutefois, que la notion de jury, au sens de cette jurisprudence, doit être entendue comme visant les organismes collégiaux disposant d’un pouvoir décisionnel et non ceux émettant, comme en l’espèce, des avis consultatifs que ne lient pas l’autorité investie du pouvoir décisionnel. Elle précise au surplus qu’elle interprète cette jurisprudence comme faisant obstacle à la communication des critères de l'appréciation par le jury de la performance individuelle des candidats et de l'établissement de la note qui leur est souverainement attribuée (avis n° 20160735 du 31 mars 2016) mais nullement de l’identité des membres du jury.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis favorable à la communication des rapports, dans une version non occultée.