Les documents des collectivités se rapportant à l’exercice de l’autorité publique peuvent être publiés en ligne au titre des obligations de publicité légale, mais également au titre du droit d’accès aux documents administratifs. Dans quelles conditions de telles publications doivent-elles intervenir ?
Quels régimes juridiques prendre en compte ?
À l’occasion de l’exercice de leur pouvoir décisionnaire, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics, produisent différents documents dont certains comportent des données à caractère personnel (données relatives aux élus, aux personnes concernées par des décisions individuelles, etc.).
En principe[1], la diffusion en ligne de ces documents va rendre irrecevable toute demande ultérieure de communication au titre du droit d’accès aux documents administratifs et libérer ainsi la collectivité des contraintes futures liées à une gestion au coup par coup de telles demandes.
Cette diffusion va pouvoir ou devoir intervenir dans les conditions prévues :
- d’une part, par le régime général du droit d’accès aux documents administratifs établi par le code des relations entre le public et l’administration (CRPA) favorisant l’ouverture des données publiques (open data) ;
- d’autre part, par des dispositions spéciales, en particulier celles du code général des collectivités territoriales (CGCT) régissant les conditions de publicité et d’entrée en vigueur des actes des collectivités et de leurs groupements.
La diffusion en open data des documents administratifs des collectivités territoriales
Le droit du public à l’information s’étend à l’ensemble des documents administratifs des collectivités : ces documents sont ainsi communicables à toute personne qui en fait la demande, et donc publiables en ligne, sous certaines conditions.
Ces documents devront dans certains cas être obligatoirement publiés, notamment s’ils sont détenus par une collectivité de plus de 3 500 habitants employant plus de 50 personnes en équivalents temps plein (voir les cas prévus à l’article L. 312-1-1 du CRPA), ou si une personne, exerçant son droit d’accès aux documents administratifs auprès de la collectivité, en a fait la demande (art. L. 311-9 du CRPA). Dans les autres hypothèses, la collectivité pourra toujours décider de les publier.
Le format de publication devra en principe être ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé (pas de PDF « image »).
Les documents des collectivités territoriales ne peuvent toutefois être publiés en ligne, que ce soit à l’initiative de l’administration ou sur demande d’une personne exerçant son droit d’accès, qu’après adoption des mesures suivantes.
- 1. occultation des mentions relevant des secrets protégés par la loi
L’article L. 312-1-2 du CRPA prévoit que les documents ne peuvent être publiés qu’après occultation des mentions protégés par des secrets pour l’exercice du droit de communication. Il est donc nécessaire de se reporter aux règles régissant le droit de communication des documents des collectivités territoriales. Deux cas doivent être distingués.
Pour ce qui concerne les délibérations et les procès-verbaux, les budgets et les comptes et les arrêtés des collectivités locales, le CGCT institue un droit à communication particulier (art. L. 2121-26, L. 3121-17, L. 4132-16, L. 5211-46, L. 5421-5, L. 5621-9 et L. 5721-6), excluant l’application des articles L.311-5 et L.311-6 du CRPA qui protègent certaines mentions. Toutefois, le Conseil d’État (arrêt « Commune de Sète », 2010) a considéré que si la portée des dispositions du CGCT relatives à la communication de ces documents à toute personne n’était pas limitée aux arrêtés réglementaires, elles ne sauraient être interprétées, eu égard à leur objectif d’information du public sur la gestion municipale, comme prescrivant la communication des arrêtés portant des appréciations d’ordre individuel sur les fonctionnaires communaux.
S’inscrivant dans la continuité de cet arrêt, la CADA a par ailleurs estimé que les objectifs de transparence de la vie locale ne justifiaient pas non plus qu'il soit dérogé au secret médical (conseil n° 20122788 du 26 juillet 2012), au secret de la vie privée (conseil n° 20121509 du 19 avril 2012 et conseil n° 20123242 du 27 septembre 2012), ou au secret des correspondances échangées entre le client et son avocat (avis n° 20111095 du 14 avril 2011).
De la même manière, se fondant sur une décision du Conseil d’État n° 449620 du 17 mars 2022, la CADA a considéré que, si les exceptions au droit d'accès prévues à l'article L. 311-6 du CRPA ne sont pas opposables à une demande présentée sur le fondement de l’article L. 2121-26 du CGCT, l'exercice de ce droit d'accès particulier ne saurait faire obstacle, par principe, à la protection de secrets protégés par la loi sur d'autres fondements, tels que le secret en matière industrielle et commerciale (conseil n° 20221455 du 21 avril 2022).
Les mentions en cause qui ne sont pas justifiées et utiles pour répondre à l'information du public sur la gestion locale doivent ainsi être occultées avant toute communication et donc publication du document, sauf à ce que ces occultations privent d’intérêt cette dernière (auquel cas le document n’est pas communicable et donc pas publiable).
Pour ce qui concerne les autres actes et documents des collectivités locales, le droit à communication s’exerce dans les conditions prévues par le seul CRPA et doivent être occultées, sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, toutes les mentions relevant des secrets protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 de ce code :
- celles dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité publique, des personnes ou des systèmes d’information de l’administration, au déroulement de procédures juridictionnelles, à la recherche et à la prévention d’infractions de toute nature, à la protection de la vie privée, au secret médical, au secret des affaires ou à tout autre secret protégé par la loi,
- celles portant une appréciation sur une personne physique ou relative au comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice (ex. : lettres de dénonciations reçues par l’administration et dont la connaissance par des tiers présenterait un risque pour leurs auteurs).
2.anonymisation des données à caractère personnel, sauf exceptions suivantes :
- les personnes concernées ont donné leur consentement préalable à la diffusion,
- il existe une disposition législative contraire ou l’une des dispenses prévues à l’article D. 312-1-3 s’applique
- document relatif aux conditions d'organisation de l'administration, ou de la vie économique, associative et culturelle,
- document relatif aux conditions d'organisation et d'exercice de la vie politique, des activités professionnelles soumises à la règlementation, des activités sportives ou des activités touristiques,
- document relatif à l'enseignement et la recherche ou aux activités soumises à des formalités prévues par des dispositions législatives ou réglementaires,
- etc.
Attention : la diffusion sans anonymisation, telle que prévue par l’article D. 312-1-3 du CRPA, est dérogatoire et doit donc s’apprécier strictement. Compte tenu des risques inhérents à la diffusion sur internet pour les personnes concernées, il appartient à l’administration de déterminer si la mise en ligne des données personnelles est bien nécessaire à l’information du public.
De plus, il est à noter que l’anonymisation des données personnelles, en ce qu’elle impose de retirer tout caractère directement ou indirectement identifiant aux informations en cause, règlera, par voie de conséquence, la problématique précédemment évoquée s’agissant des mentions protégées relatives à des personnes physiques (en particulier, les éléments couverts par le secret de la vie privée qui ne sont pas communicables aux tiers).
La CADA a ainsi estimé, qu’en vertu des dérogations prévues par l’article D. 312-1-3 du CRPA, une collectivité qui publie en ligne les autorisations individuelles d’urbanisme n’a pas à occulter les nom et adresse du pétitionnaire et de l’architecte y figurant (avis CADA n° 20190051 du 7 février 2019).
Focus sur les procès-verbaux de séance des assemblées délibérantes
Depuis juillet 2022, le droit du public à l’information se trouve garanti par la publication obligatoire des procès-verbaux de séance des départements et des régions, ainsi que, s’ils disposent d’un site internet, des communes, EPCI à fiscalité propre, syndicats de communes et syndicats fermés (art. L. 2121-15, art. L. 3121-13, art. L. 4132-12, art. L. 5211-1 et art. L. 5711-1 du CGCT).
Cette publication obligatoire paraît pouvoir être réalisée sans anonymisation des données personnelles nécessaires à l'information du public et relatives aux conditions d'exercice de la vie politique, au titre du 6° de l'article D. 312-1-3 du CRPA (telles que notamment les prises de paroles et de position des élus de l’assemblée délibérante : avis n° 20191602 du 26 septembre 2019).
Le cas particulier des documents étant encore préparatoires
Tant qu’un document présente un caractère préparatoire, c’est-à-dire qu’il participe à un processus décisionnel qui n’est pas encore achevé, il n’est pas encore communicable. Autrement dit, jusqu’à l’adoption des décisions qu’ils préparent, l’administration n’est pas tenue de répondre positivement à une personne demandant à y accéder par la voie de la publication en ligne.
En revanche, si elle le décide, et sous réserve de respecter les règles rappelées ci-dessus, la collectivité territoriale peut publier le document malgré son caractère préparatoire.
La publication légale sous forme électronique des actes réglementaires et décisions d’espèce
La réforme des règles de publicité, d'entrée en vigueur et de conservation des actes des collectivités territoriales et de leurs groupements est entrée en vigueur le 1er juillet 2022 (le 1er janvier 2023 pour les modifications apportées au code de l’urbanisme).
Depuis cette date, la publication sous format électronique est devenue le mode de publicité de droit commun des actes réglementaires et des actes ne présentant ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel (par exemple : acte créant une ZAC ou une ZAD, acte instituant le droit de préemption urbain ou élargissant le périmètre d’une zone de préemption, décision de classement dans le domaine public ou privé, acte délimitant un terrain, etc.).
Par dérogation, les communes de moins de 3 500 habitants, ainsi que les syndicats de communes et les syndicats mixtes fermés ont un droit d’option entre l’affichage, la publication papier ou la publication électronique de ces actes.
Les dispositions des articles R. 2131-1, R. 3131-2 et R. 4141-2 du CGCT précisent les modalités de cette publication électronique :
- les actes doivent être mis à la disposition du public sur le site internet de la collectivité territoriale dans leur intégralité, sous un format non modifiable et dans des conditions propres à en assurer la conservation, à en garantir l'intégrité et à en effectuer le téléchargement ;
- la version électronique de ces actes comporte la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de leur auteur, ainsi que la date de mise en ligne de l'acte sur le site internet de la collectivité ;
- la durée de publicité de l'acte ne peut pas être inférieure à deux mois.
La CADA a précisé la portée de ces dispositions ainsi que leur articulation avec les règles générales de diffusion publique posées par le CRPA dans un conseil n° 20221096, du 21 juillet 2022.
1. Mise à disposition des actes dans leur intégralité
En l’état des textes, les dispositions prévoyant une publication des actes « dans leur intégralité », c’est-à-dire l’acte lui-même et l’ensemble des documents qui lui sont annexés, ne peuvent être regardées comme ayant entendu déroger au principe général d’anonymisation des informations avant publication en ligne prévu à l’article L. 312-1-2 du CRPA, évoqué précédemment.
Pour autant, les exceptions au principe prévues à l’article D.312-1-3 peuvent trouver à s’appliquer. Ainsi par exemple, les arrêtés des maires portant délégation de fonction ou de signature à un adjoint, qui sont des actes réglementaires, ne doivent pas être anonymisés avant publication en ligne, car il s’agit de l’organisation de l’administration.
2. Mise à disposition des actes sous un format non modifiable
La mise en ligne des actes sur le site internet des collectivités territoriales sous un format non modifiable constitue une garantie de l’authenticité des actes, ces derniers ne pouvant plus être modifiés après leur publication, ni par la collectivité territoriale, ni par un tiers.
Quels droits pour les personnes concernées par les informations publiées en ligne ?
Dans les cas où la diffusion des données à caractère personnel est autorisée, la publication des documents doit se faire dans le respect du règlement général de protection des données (RGPD). Les collectivités publiques devront ainsi veiller, vis-à-vis des personnes concernées, à :
1.l’information sur la diffusion des données
Les personnes concernées par les questions faisant l’objet d’arrêtés ou de délibérations doivent être informées que leurs données seront susceptibles d’être publiées en ligne en application des dispositions du livre III du CRPA ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires (CGCT, en particulier).
Cette information doit être dispensée en des termes clairs et simples et être complète, en précisant notamment l’existence et les modalités d’exercice des droits prévus par le RGPD (articles 12 et suivants).
2.le respect des droits des personnes, en particulier du droit d’opposition
Lorsque la diffusion de données personnelles n’est pas nécessaire au respect d’une obligation légale et se fonde sur l’exécution d’une mission d’intérêt public (art. 6.1.e du RGPD), les personnes concernées doivent pouvoir faire valoir leur droit d’opposition pour des raisons tenant à leur situation particulière (article 21), sauf à ce que le droit de s’y opposer ait été écarté par l’acte instaurant le traitement dans les conditions prévues à l’article 23 du RGPD.
À noter : lorsqu’un document doit être obligatoirement publié en ligne, et que sa diffusion sans anonymisation préalable n’est pas spécifiquement imposée par un texte mais seulement autorisée par le CRPA (notamment son article D. 312-1-3), le fondement juridique de ce traitement de données personnelles n’est pas « l’obligation légale » (art. 6.1.c) mais « la mission d’intérêt public ». Ainsi :
- s’agissant de la publication en open data de documents rentrant dans le champ de l’article D.312-1-3 du CRPA (ex. : décisions individuelles d’urbanisme), la base légale du traitement sera la mission d’intérêt public et la collectivité devra en principe prévoir un droit d’opposition au bénéfice des personnes concernées ;
- s’agissant de la publication électronique des actes au titre des obligations de publicité légale, la base légale du traitement sera :
- l’obligation légale pour les collectivités de plus de 3 500 habitants et les personnes concernées (ex. : celles concernées par un arrêté de délégation de signature ou de fonction) ne disposeront donc pas d’un droit d’opposition ;
- la mission d’intérêt public pour les autres collectivités, sans préjudice de la possibilité, pour celles ayant opté par délibération en faveur de ce mode de publication, d’écarter le droit d’opposition des personnes concernées (lorsque la publication électronique constitue uniquement un mode de publicité additionnel au principe de la publicité papier retenu par délibération, le droit d’opposition devrait en revanche trouver à s’appliquer).
Lorsque les personnes concernées disposent du droit de s’opposer au traitement de leurs données, l’administration conservera, dans certains cas, la possibilité d’y apporter une suite défavorable, en faisant valoir un motif légitime et impérieux supérieur prévalant sur les intérêts et droits et libertés de la personne concernée.
En outre, dans le cas où la collectivité est tenue d’effacer les données sur le fondement de l’article 17 du RGPD, il lui appartient de prendre des mesures raisonnables pour informer les tiers qui retraitent ces données que la personne concernée a demandé l’effacement de tout lien vers les informations en cause, ou de toute copie ou reproduction de celles-ci.
3.la limitation de l’exposition des données
À titre général, les documents publiés sans anonymisation préalable pourront faire l’objet d’une indexation afin de faciliter le travail de recherche des internautes dans les bases de données. Cependant, il est recommandé de mettre en place des mesures empêchant l’indexation des données identifiantes par des moteurs de recherche externes, telles que le recours à un fichier « robots.txt » ou un dispositif de captcha.
Les conditions de réutilisation des données à caractère personnel diffusées
Par principe, les informations figurant dans les documents publiés peuvent être réutilisées par toute personne à d’autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus. Néanmoins, toute réutilisation de données se rapportant à une personne physique identifiée ou potentiellement identifiable, à des fins non strictement personnelles ou domestiques, constitue un traitement de données à caractère personnel. Cette réutilisation devra être effectuée dans le respect des principes protecteurs et obligations posés par le RGPD et la loi « Informatique et libertés ».
Pour en savoir plus : Téléchargez le guide pratique de la publication en ligne et de la réutilisation des données publiques
Par dérogation, et sauf demandes abusives, les collectivités territoriales et leurs groupements sont toutefois tenus, depuis le 1er juillet 2022, de délivrer à quiconque en fait la demande un exemplaire papier des actes publiés sous forme électronique dans le cadre de la réforme introduite par l’ordonnance n° 2021-1310 et le décret n°2021-1311 du 7 octobre 2021.